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Jeudis des Fiscalistes - Marc Tournoud - Jurisprudence du cabinet - Conséquences tragiques (pour l’administration) de la réunion de toutes les parts d’une SARL en une seule main (TA Grenoble, n°1908078 et 2006733, décision du 27 janvier 2022)

Le 17 février 2022
Jeudis des Fiscalistes - Marc Tournoud - Jurisprudence du cabinet - Conséquences tragiques (pour l’administration) de la réunion de toutes les parts d’une SARL en une seule main (TA Grenoble, n°1908078 et 2006733, décision du 27 janvier 2022)

A la suite de la vérification de comptabilité d’une société de sécurité, un des salariés avait été identifié par l’administration comme  le bénéficiaire de revenus distribués par cette personne morale en 2014, 2015 et 2016. En conséquence, l’administration fiscale l’avait assujetti à de très importantes  cotisations supplémentaires d’impôts sur le revenu et prélèvements sociaux, alors même que l’intéressé faisait valoir qu’il n’était ni associé, ni dirigeant de fait ou de droit de l’entreprise, et qu’il n’était donc en aucune manière le seul et véritable maitre de l’affaire.

Il s’agissait en effet d’un chef d’équipe à qui l’entreprise versait des sommes significatives afin qu’il rémunère lui-même ses collègues, vigiles comme lui sur des chantiers ou dans des lieux publics, au titre des « heures supplémentaires » que ceux-ci pouvaient avoir à assurer.

Il s’agissait incontestablement de rémunérations occultes, mais les véritables bénéficiaires n’étaient pas formellement identifiés.

Dans de telles circonstances, l’administration a la possibilité d’imposer le maitre de l’affaire, ou, à son choix, un tiers, lorsqu’elle est en mesure d’établir que ce dernier a effectivement appréhendé les revenus distribués par la société.

En l’espèce, le service choisit de taxer celui par lequel avait transité les paiements frauduleux, alors même que chacun savait qu’il n’était pas le véritable destinataire des fonds.

Le contribuable que le fisc avait décidé de taxer n’était donc ni celui qui avait mis en place le dispositif ainsi décrit (le maitre de l’affaire), ni, finalement, le véritable bénéficiaire des revenus dont il s’agissait, à savoir les salariés placés sous ses ordres.

Malheureusement, une telle défense ne pouvait pas permettre d’obtenir la décharge des rappels d’impôts sur le revenu et prélèvements sociaux qui étaient en litige. En effet, il résultait des éléments produits par l’administration fiscale que le requérant avait effectivement encaissé des chèques de l’entreprise, et il n’était pas en mesure de prouver en revanche qu’il avait reversé ces sommes à des tiers au nom et pour le compte de l’entreprise.

Le contribuable que le fisc avait décidé de taxer n’était aussi pas en mesure contester les impositions correspondantes au motif qu’il ne pouvait pas être regardé comme le maitre de l’affaire. La présomption d’appréhension par le maitre de l’affaire ne profite en effet qu’à l’administration.

L’affaire était donc mal engagée. Heureusement, l’examen du dossier a révélé qu’au cours des années 2014 à 2016, l’intégralité des parts de la société avait été réunie entre les mains de son dirigeant, personne physique.

Il a ainsi été possible de faire valoir que la société n’était pas, au cours de cette période, soumise à l’impôt sur les sociétés faute d’avoir exercé l’option instituée par les dispositions des articles 206 et 239 du CGI.

A cet égard, la seule circonstance que ladite société se soit acquittée de cet impôt ne saurait être regardée comme valant exercice d’une telle option.

Par suite, le requérant a pu faire valoir que les revenus qu’il avait perçus ne pouvaient être imposés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en tant que rémunérations et avantages occultes visés par le c de l’article 111 du code général des impôts.

Le tribunal a donc jugé que ses conclusions à fin de décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et prélèvements sociaux majorés auxquelles il a été assujetti au titre des années 2014, 2015 et 2016 devaient être accueillies.

Le requérant obtient donc le dégrèvement de la totalité des rappels mis à sa charge (TA Grenoble, n°1908078 N°2006733, 27 janvier 2022).

Il se confirme donc dans cette affaire  que devant le Juge administratif, le succès d’une juste cause peut prendre parfois de curieux détours :

Le fisc avait ici le droit de taxer les revenus distribués au nom de quelqu’un qui n’était ni l’initiateur ni le bénéficiaire du système de fraude mis à jour par l’administration fiscale.

Il n’a pourtant pas pu le faire, car il s’est avéré que l’entreprise avait elle-même négligé d’opter pour l’IS lorsqu’elle est devenue une EURL entre 2014 et 2016.

C’est ainsi que la victime innocente d’une faute d’une entreprise qui utilisait un de ses salariés pour dissimuler des heures supplémentaires, a pu être sauvée par une autre faute de l’entreprise, lorsque l’avocat saisi par cette victime a découvert que l’entreprise avait aussi omis de régulariser son option pour l’IS lorsque son capital a été réuni en seule main.

Contact : marc.tournoud@arbor-tournoud.fr