22 Octobre 2020 : Jeudi des Fiscalistes - Marc Tournoud - Jurisprudence du cabinet, application du principe de loyauté de l’action administrative.
(Tribunal administratif de Grenoble, jugement n° 1703974 du 28 juin 2019),
Le principe de loyauté de l'action administrative oblige, en principe, le service à ne pas fournir au contribuable des informations erronées, afin que le contribuable puisse être légitimement confiant dans la parole donnée par l’administration fiscale.
Il a notamment été jugé (CE 9e-10e ch. 21-9-2016 n° 383857) que la procédure est viciée si le contribuable, informé de la faculté d’un recours, est ensuite induit en erreur sur la possibilité d'obtenir un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur.
On sait en effet que la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, dont la remise avant l’engagement d’une vérification de comptabilité est exigée par l’article L. 10 du LPF, donne au contribuable la possibilité de plusieurs recours hiérarchiques entre la clôture des opérations de contrôle et la clôture de la procédure de redressement.
La charte prévoit un système de double regard ou recours successifs. Elle énonce ainsi que : « Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les redressements envisagés, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l’inspecteur départemental ou principal. Si après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l’interlocuteur départemental spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur. »
Pour qu’un contribuable puisse utilement se prévaloir d’une méconnaissance par l’administration de la garantie tenant à la faculté d’obtenir un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur sur tous les points subsistants de désaccord avec ce dernier, encore faut-il qu’il ait demandé à bénéficier de cette garantie (par ex. CE 15 mai 2006 n°267160, Mériot : RJF 8-9/06 n°1064 ; CE 26 novembre 2012 n°347052, Soulé : RJF 3/13 n°322 ; CE 15 octobre 2014 n°358484, SARL Go Norma Ski : RJF 1/15 n°59).
Il a été jugé (CE 21-9-2016 n°383857 9e et 10e ch. : RJF 12/16 n° 1102, conclusions E. Bokdam-Tognetti) que le contribuable peut utilement soutenir avoir été induit en erreur sur son droit à obtenir un entretien avec le supérieur hiérarchique du vérificateur (idem, pour l'interlocuteur départemental), compte-tenu des circonstances de fait et, notamment, des informations que l'administration a porté à sa connaissance dans sa réponse à ses observations, et que la procédure d'imposition s'en trouve donc entachée d'irrégularité.
Ce sont ces principes qui ont été mis en œuvre par notre cabinet dans un litige opposant un de nos clients à la Direction Régionale de Contrôle fiscal (Tribunal administratif de Grenoble, jugement n° 1703974 du 28 juin 2019).
Les impositions en litige résultaient d’une vérification de comptabilité au terme de laquelle la société a sollicité un recours hiérarchique.
A la faveur des échanges avec l'inspecteur principal dans le cadre de ce recours, le supérieur hiérarchique a affirmé que les impositions en litige pourraient être payées avec la créance dégagée par le report en arrière du déficit, ce qui réduisait à néant les conséquences financières du rappel d’IS.
Sur la foi de ces assurances données par l'inspecteur principal, la société a donc été conduite à se désister du recours à l'interlocuteur départemental. Mais par la suite, lorsque la société a demandé, au vu de l'avis de mise en recouvrement, à régler le rappel d’IS résultant du contrôle au moyen de la créance du report en arrière des déficits, le comptable a refusé de respecter l'engagement de l'inspecteur principal et de procéder à l'imputation promise.
L’administration n’a donc pas tenu les engagements pris par l’inspecteur principal, qui avait offert à l’entreprise, mais à tort, de régler le rappel d’IS au moyen d’une créance de report en arrière des déficits.
Le tribunal a logiquement estimé que la société a été privée, du fait de ces informations erronées, du recours à l'interlocuteur départemental, et a donc ordonné le dégrèvement total de l'avis de mise en recouvrement émis au visa de la procédure litigieuse.
Le jugement a été rendu conformément aux conclusions du rapporteur public Paul JOURNE, lesquelles ont été publiées à la revue de jurisprudence fiscale RJF 11/2019 C 1056, sous le titre : « Une conduite déloyale de l’administration qui prive un contribuable de la rencontre avec l’interlocuteur départemental vice doublement la procédure ».
Ce jugement constitue un exemple éloquent, mais malheureusement encore trop rare, de l’application que le Juge peut faire du principe de loyauté de l’action administrative, lorsque le contribuable est induit en erreur par l’administration, et que cette erreur le prive ainsi de certains de ses droits.
Contact : marc.tournoud@arbor-tournoud.fr
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