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Jeudis des fiscalistes - Bilel Hakkar - Les justiciables confrontés à la Justice pénale sont-ils des contribuables comme les autres ?

Le 01 février 2024
Jeudis des fiscalistes - Bilel Hakkar - Les justiciables confrontés à la Justice pénale sont-ils des contribuables comme les autres ?

C’est non sans une pointe d’ironie que nous lançons cette interrogation, à laquelle le Tribunal administratif de Grenoble n’a semble-t-il pas entendu apporter une réponse exempte de toute ambiguïté.

Le contexte était le suivant.

L’administration fiscale est, au cours de l’année 2015, destinataire par le Parquet d’une procédure d’instruction concernant une personne mise en examen du chef de blanchiment du produit provenant d’un délit de trafic de stupéfiant ainsi que du chef de réalisation d’une opération financière entre la France et l’étranger sur des fonds provenant d’un trafic de stupéfiants.

Pour cause, il était reproché à cette personne, interpellée sur le territoire national, d’avoir transporté dans son véhicule une somme de presque 400.000 euros, dont le magistrat instructeur suspectait qu’elle provenait d’une infraction à la législation sur les stupéfiants.

Sans même attendre une décision de condamnation, les services fiscaux s’empressent, comme à l’accoutumée, d’imposer le contribuable sur le fondement de l’article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, à raison de la somme d’argent dont il a eu la libre disposition et qui correspondrait selon elle au produit d’une infraction à la législation sur les stupéfiants.

Outre la saisie des 400.000 euros retrouvés dans le véhicule du contribuable, c’est alors une somme de 350.000 euros qui lui est réclamée par l’administration fiscale au titre de l’impôt sur le revenu.

S’agissant d’une proposition de rectification notifiée au cours de l’année 2016, le délai de réclamation du contribuable pour contester cette imposition expirait, en principe, le 31 décembre 2019, conformément à l’article R*196-3 du livre des procédures fiscales.

Ne s’étant toutefois pas adossé les services d’un avocat spécialiste en la matière, notre contribuable laissa expirer ce délai, alors même qu’il avait intégralement été relaxé des fins de la poursuite par le Tribunal correctionnel au cours du mois de novembre 2019, cette décision ayant été intégralement confirmée par la Cour d’appel de Nancy par une décision du 15 décembre 2020.

Saisis de cette affaire bien tardivement, au cours de l’année 2021, nous faisions valoir dans notre réclamation contentieuse déposée le 22 février 2021 auprès du service que le délai de réclamation contentieuse n’avait pas commencé à courir à compter de la réception de la proposition de rectification mais uniquement à compter de la décision confirmative de relaxe rendue par les juges d’appel.

En effet, l’article R*196-1, c du livre des procédures fiscales prévoit que le délai de réclamation peut avoir pour point de départ la date de l'événement qui motive la réclamation.

En toute matière fiscale, par "événement" susceptible d'être retenu comme servant de point de départ au délai de réclamation, il convient d'entendre tout fait ou circonstance ayant pour effet ou conséquence :

- soit de mettre en cause le principe même de l'imposition contestée ;

- soit de modifier rétroactivement l'assiette ou le calcul de cette imposition ;

- soit d'ouvrir droit, par sa nature même, au dégrèvement ou à la restitution de tout ou partie d'une imposition qui, fondée dans son principe, était régulièrement établie et calculée.

Constitue, notamment, un événement rouvrant le délai général de réclamation, « une décision de justice fixant, avec effet rétroactif, la véritable situation du contribuable ou la nature réelle d'un élément d'imposition » (BOI-CTX-PREA-10-30, paragraphe n° 80).

D’une manière générale, la jurisprudence admet qu’une décision juridictionnelle puisse constituer un événement au sens du c de l’article R*196-1 du livre des procédures fiscales.

En l’espèce, nous soutenions que la décision confirmative de la Cour d’appel rendue en 2020 avait bien fixé la situation de notre client vis-à-vis des incriminations de trafic de stupéfiants qui fondaient la proposition de rectification adressée en 2016, puisque l’intéressé avait été relaxé des fins des poursuites correspondantes.

Alors qu’une telle solution semblait confiner à l’évidence, le Tribunal administratif de Grenoble en a décidé autrement dans sa décision n° 2105887-2107133 du 7 décembre 2023.

Il juge en effet que l’arrêt de la Cour d’appel ne saurait constituer un évènement de nature à rouvrir le délai de réclamation du contribuable dans la mesure où cette décision n’était pas devenue définitive à la date de l’introduction de la réclamation contentieuse.

Pourtant, s’il est vrai qu’un pourvoi en cassation avait été introduit, ni l’arrêt de la Cour de cassation, ni l’arrêt rendu en février 2023 par la Cour d’appel de renvoi, n’avait remis en cause les faits pertinents de l’espèce dont il ressortait que le contribuable ne pouvait être poursuivi ou condamné du fait d’un trafic de stupéfiant, et par extension imposé à ce titre.

Outre le fait que le texte de l’article R*196-1, c du livre des procédures fiscales n’exige aucunement que la décision doive revêtir un caractère définitif pour constituer un événement de nature à rouvrir le délai de réclamation, les faits allégués au soutien de la proposition de rectification de 2016 avaient bien été démentis par la décision de la première Cour d’appel, ce démenti n’ayant jamais été remis en cause par la suite.

Si le Tribunal administratif de Grenoble entend faire une lecture expressément restrictive des dispositions précitées, reste à savoir si la Cour administrative d’appel de Lyon, d’ores et déjà saisie du dossier, confirmera ou non une telle analyse.

Anticipant une éventuelle réponse par la négative, nous avons, à titre prophylactique, déposé une autre réclamation contentieuse pour le compte de notre client, cette fois-ci, ultérieure à l’arrêt de la Cour d’appel de renvoi, lequel devrait pouvoir présenter le caractère définitif exigé par les premiers juges administratifs.

 

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Bilel Hakkar,

Avocat.

Contact : bilel.hakkar@arbor-tournoud.fr