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Jeudis des fiscalistes - Bilel Hakkar - Substitution de base légale : quand le juge administratif ose limiter les pouvoirs de l’administration

Le 28 mars 2024

newsletters-bh-28032024.jpgUne fois n’est pas coutume, la Cour administrative d’appel de Lyon n’a pas entendu sacrifier les garanties du contribuable sur l’autel du pragmatisme du droit fiscal. 

Dans cette intéressante affaire (CAA Lyon, 5ème chambre – N° 22LY01783 – 21 décembre 2023 – C+), l’administration avait entendu remettre en cause l’application du régime d’exonération d’impôt sur le revenu prévu en faveur des activités exercées en zone franche urbaine (article 44 octies A du code général des impôts).

Après avoir estimé que l'activité de la société n'était pas exercée effectivement en zone franche urbaine, l'administration a ainsi remis en cause l'exonération précitée et a opéré des rehaussements dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux au titre de l'impôt sur le revenu de l’associé unique.

Toutefois, ainsi que le reconnaissait l’administration dans ses écritures, les revenus en cause de l'activité d'un agent commercial n'étaient imposables que dans la catégorie des bénéfices non commerciaux en vertu du 1 de l'article 92 du code général des impôts, ce dont il résultait que les redressements n’étaient pas fondés.

Il faut toutefois savoir que l’administration est en droit, à tout moment de la procédure, d'invoquer un moyen nouveau de nature à justifier le maintien de l'imposition contestée et qu'elle peut notamment demander qu'un nouveau fondement légal soit substitué à celui qui a été initialement utilisé pour l'établissement de l'imposition.

La possibilité d'une substitution de base légale découle du principe depuis longtemps affirmé par la jurisprudence selon lequel l'administration a le devoir de « faire rentrer » l'impôt et ne peut renoncer à percevoir celui-ci (par exemple, CE 7e - 8e s.-s. 7-12-1981 n° 16576).

Au cas d’espèce, l’administration sollicitait de la cour qu’elle substitue à la base légale erronée de l'article 38 du CGI les dispositions de l'article 92 du même code permettant de maintenir l'imposition en litige à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.

Mais une telle substitution ne saurait être exercée sans limites, conformément à la jurisprudence constante du Conseil d’Etat qui prévoit que cette substitution ne doit pas avoir pour effet de priver le contribuable des garanties de procédure attachées au nouveau fondement légal. Elle ne peut donc être invoquée que si la procédure correspondant au nouveau fondement légal a été respectée, le juge devant s'assurer que tel a été le cas.

C’est là que le bât blesse pour l’administration.

En effet, la Cour a considéré que la substitution sollicitée était de nature à priver le contribuable d’une garantie dans la mesure où la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, qui est un organisme chargé d’émettre un avis sur les redressements dans le cadre de la procédure de redressement contradictoire, était composée lors de sa séance de membres relevant de la composition applicable à la détermination du bénéfice industriel et commercial et non à la détermination du bénéfice non commercial.

Les articles 1651 et 1651 A du CGI prévoient en effet que la composition de la commission n'est pas identique en fonction de la catégorie d'imposition des bénéfices dont relève le désaccord et qu'à ce titre les représentants du contribuable sont, pour la détermination du bénéfice industriel et commercial, désignés par la chambre de commerce et d'industrie territoriale ou la chambre de métiers et de l'artisanat alors qu'ils sont désignés par l'organisation ou l'organisme professionnel intéressé pour la détermination du bénéfice non commercial.

La régularité de la composition de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires et la désignation des représentants du contribuable par l'organisme ou l'organisme professionnel intéressé constituent pour la Cour une garantie pour le contribuable.

La Cour en conclut ainsi que la substitution de base légale sollicitée par l'administration était de nature à priver le contribuable d'une garantie tenant à la possibilité de solliciter un avis de la Commission dans la composition légalement prévue par le texte, et décharge le contribuable des impositions litigieuses.

Une telle décision, qui érige en garantie substantielle pour le contribuable la composition régulière de la commission et refuse ainsi de faire droit à la substitution de base légale sollicitée par l’administration ne peut, en tant qu’elle refuse de vider de leur substance les droits du contribuable, qu’être saluée.

Reste à savoir désormais si cette décision trouvera à s’appliquer en dehors de l’hypothèse particulière de la substitution de base légale, et notamment sur le terrain de la régularité de la procédure d’imposition.

Jusqu’à présent, le Conseil d’Etat considère en effet qu’en matière de régularité de la procédure d’imposition, les vices de forme ou de procédure dont serait entaché l'avis de la commission départementale des impôts, y compris dans l’hypothèse d’une composition irrégulière, n'affectent pas la régularité de la procédure d'imposition et ne sont, par suite, pas de nature à entraîner la décharge de l'imposition (CE 8e-9e s.-s. 11-2-1998 n° 178841, SA Études et Recherches mécaniques (ERM) :  RJF 4/98 n° 442).

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Bilel Hakkar

Avocat.

Contact : bilel.hakkar@arbor-tournoud.fr