Jeudis des fiscalistes - Marc Tournoud - Jurisprudence du cabinet - CAA LYON, 7 avril 2022, n° 20LY02893 - Qui est le véritable maitre de l’affaire lorsque deux époux sont associés dans une SARL ?
Dans cette affaire soumise à la Cour administrative d’appel de Lyon, le service soutenait que les pouvoirs de direction et de gestion d’une SARL étaient en réalité exercés par les deux époux, de sorte que ceux-ci pouvaient être imposés conjointement sans qu’il soit besoin de distinguer les revenus distribués à l’un ou l’autre des conjoints.
La requérante, épouse du gérant de droit et associée majoritaire de la SARL, n’était pas gérante de droit. Le directeur ne démontrait pas, ni même ne soutenait d’ailleurs, que cette dame aurait détenu la signature du compte bancaire de la société, ou qu’elle aurait pu figurer au nombre des interlocuteurs des clients ou fournisseurs, qu’elle avait pu disposer d’un accès aux moyens de paiement, ou qu’elle ait pu effectuer, à un moment et d’une manière quelconque, un acte indiquant qu’elle participait à la direction de la société.
Les recettes de l’entreprise ayant été reconstituées, l’administration a entrepris de mettre à la charge du foyer fiscal formé par les époux des rappels d’impôt sur le revenu et de contributions sociales, sans prendre soin de déterminer lequel des époux, et dans quelle proportion, avait bénéficié de ces revenus distribués. Le service croyait notamment pouvoir s’abriter derrière le fait que le gérant de droit avait désigné son épouse comme bénéficiaire des revenus distribués lorsque le vérificateur l’avait interrogé sur ce point au visa de l’article 117 du CGI, et que, de toute manière, les deux seraient imposés ensemble, de sorte que peu importe qu’il s’agisse des revenus de l’un ou de l’autre.
Mais on sait que l'administration conserve la charge d'établir l'identité du bénéficiaire de revenus réputés distribués lorsque la lettre par laquelle le gérant d’une société désigne comme bénéficiaire des revenus distribués son conjoint, également associé, n'est pas cosignée par l'intéressé (CAA Marseille 16-6-2009 n° 06-1897, 4e ch., Jovignot).
L’associée, qui ne s’était donc pas désignée elle-même puisque c’est son mari qui l’avait dénoncé, soutenait au contentieux qu’en fait c’était au contraire son époux le seul et véritable maitre de l’affaire, et que les intéressés n’exerçaient donc pas conjointement la maîtrise de l’affaire (CE (na) 9e ch. 16-3-2020 n° 433098).
En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Lyon (CAA LYON, 7 avril 2022, n° 20LY02893) a confirmé que ni le fait que l’associée non gérante puisse détenir avec son époux la totalité du capital social de la SARL et qu’elle était elle-même propriétaire de 99 % des parts sociales, ni le fait qu’elle et son époux ont perçu des dividendes de la société au cours des années en litige ne suffisaient à établir, en l'absence d'éléments tirés du fonctionnement de l’entreprise permettant de considérer qu’elle disposait seule ou conjointement avec son époux des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, que l'intéressée, qui n'en était pas la gérante statutaire, ou le couple, se comportait en maître de l'affaire.
La Cour a conclu que l’associée, pas plus que le foyer fiscal qu’elle formait avec le gérant de droit, ne pouvaient être regardés comme ayant appréhendé les distributions occultes de la société.
La décision est intéressante car la solution n’aurait évidemment pas été la même si l’administration, comme elle aurait pu facilement le faire en application de la théorie du seul maitre de l’affaire, avait désigné le gérant de droit comme bénéficiaire des revenus distribués, plutôt que son épouse ou le couple indistinctement.
Autrement dit, la maitrise de l’affaire par un des conjoints ne suffit pas à démontrer la maitrise conjointe de l’affaire, ce alors même que les intéressés doivent en tout état de cause être imposés ensemble.
L’administration doit donc prendre la précaution, même en présence d’un couple marié, d’identifier précisément celui de époux qu’elle veut imposer, et, le cas échéant, dans quelles proportions.
Réciproquement, du côté des contribuables, il importe de prêter une attention toute particulière à la manière dont le service entreprend de déterminer le bénéficiaire des revenus distribués.
D’une manière générale, le (ou la) gérant(e) doit notamment, en principe, éviter de se désigner lui-même, quitte à ne pas craindre de désigner sa moitié, cet apparent mauvais coup pouvant finalement s’avérer très bénéfique pour le couple lorsque le conjoint désigné n’intervient pas dans la conduite des affaires sociales.
Marc Tournoud,
Avocat associé, spécialiste en droit fiscal.
Contact : marc.tournoud@arbor-tournoud.fr
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