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Jeudis des Fiscalistes - Marc Tournoud - Jurisprudence du cabinet - les sommes versées par un époux non résident à son épouse résidente sont des pensions alimentaires ou des libéralités, mais pas des revenus d’origine indéterminée

Le 19 février 2021
Jeudis des Fiscalistes - Marc Tournoud -  Jurisprudence du cabinet - les sommes versées par un époux non résident à son épouse résidente sont des pensions alimentaires ou des libéralités, mais pas des revenus d’origine indéterminée

Une mère de famille résidente de France avait fait l’objet d’un examen de sa situation fiscale personnelle concernant les années 2012 et 2013, à la suite duquel l’administration fiscale a taxé d’office les sommes constatées au crédit de ses comptes bancaires (pour un montant de l’ordre de 120.000 euros chaque année) en nature que revenus d’origine indéterminée.

Il s’agissait de virements et de chèques provenant de son époux, lequel vivait et travaillait en Suisse, et qui subvenait ainsi aux besoins de sa conjointe et des enfants communs vivants en France avec leur mère.

Les deux époux, qui étaient séparés de biens et ne résidaient pas ensemble, se trouvaient dans une des situations d’imposition séparée obligatoire des époux, ainsi qu’il est prévu par l’article 6 du Code Général des Impôts.

La situation était donc relativement banale, mais elle avait attiré l’attention du fisc français, en raison d’une part, de l’existence de mouvements financiers réguliers au départ de la Suisse, et d’autre part, de l’absence de revenus déclarés par la destinataire des virements.

L’affaire échappait en effet aux dispositifs habituels de taxation des pensions alimentaires entre époux, puisque les intéressés n’avaient engagé aucune procédure de divorce. Il n’existait donc aucune décision de justice fixant le montant des pensions alimentaires légalement dues. Ainsi, les versements dont il s’agit ne résultaient pas d’une obligation forcée par une décision de justice, mais étaient effectués spontanément, pour un montant décidé librement.

La question se posait donc de la qualification fiscale de ces sommes, et notamment celle de savoir si elles étaient imposables à l’impôt sur le revenu, et dans l’affirmative, dans quelle catégorie et à hauteur de quels montants.

Pour sa part, la destinataire des fonds n’avait rien déclaré au fisc français, considérant qu’il s’agissait en totalité de libéralités entre époux, non imposables.

Confrontée à la question posée, l’administration fiscale avait cru bon d’exprimer sa perplexité en imposant les sommes en cause comme des « revenus d’origine indéterminée », en prétendant, que l’origine des sommes n’était pas vérifiable, et que leur qualification juridique n’était pas déterminée.

Dans une décision n° 1804328 du 17 décembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a justement censuré cette manière de voir, en rappelant que si les dispositions des articles L.16 et L.69 du livre des procédures fiscales autorisent l’administration à taxer d’office à l’impôt sur le revenu une disponibilité en tant que revenu d’origine indéterminée, c’est  seulement dans le cas où en dépit des éléments apportés par le contribuable à la suite  d’une mise en demeure, demeurent incertains tant le caractère non imposable de cette disponibilité que la catégorie de revenus à laquelle elle serait susceptible de se rattacher.

Par suite, une contribuable ne peut pas être regardée comme s’étant abstenue de répondre à une demande de justifications relevant de l’article L. 69 du livre des procédures fiscales, lorsqu’elle établit, dans les délais impartis, à la fois la provenance et la cause de cette disponibilité, par la production d’éléments de preuve précis et vérifiables.

Au cas particulier où le contribuable établit que la disponibilité provient d’un membre de sa famille, il est réputé établir également qu’elle a pour cause un prêt ou une libéralité échappant à l’impôt sur le revenu, sauf à ce qu’il soit avec l’auteur du versement, à un titre quelconque, en relation d’affaires.

En l’espèce, les sommes en litige correspondaient à des remises de chèques et à des virements bancaires, et la contribuable avait transmis au service vérificateur les références du compte bancaire de son époux en Suisse ainsi que celles du compte bancaire de la SCI française dont il est le gérant et l’associé, les crédits inexpliqués provenant, selon ses explications, de ces deux seuls comptes.

L’intéressée n’exerçait aucune activité et ne disposait d’aucun revenu propre, et  déclarait que ces sommes étaient des contributions de son époux aux charges du mariage et des pensions alimentaires en faveur de leurs enfants.

Le tribunal a rappelé que ces explications étaient aisément vérifiables,  puisque les références bancaires transmises à l’administration lui permettaient de vérifier l’origine des fonds en litige dans le cadre de l’accord d’assistance administrative entre la Suisse et la France.

S’agissant de versements entre époux qui n’étaient pas en relation d’affaires, il appartenait  à l’administration d’établir, dans le cadre de la procédure contradictoire,  qu’il s’agissait bien de revenus imposables et de les imposer dans la catégorie adéquate.

Par suite, dès lors que la contribuable française avait apporté des éléments de preuves précis et vérifiables relatifs aux crédits en litige, elle a été jugée fondée à soutenir que la procédure de taxation d’office est irrégulière à hauteur des montants regardés à tort comme des revenus d’origine indéterminée.

Le tribunal a donc ordonné le dégrèvement des impositions supplémentaires et des pénalités   réclamées à la suite de la taxation d’office des revenus en litige regardés à tort comme des revenus d’origine indéterminée.

L’administration s’est trouvée ainsi prise à son propre piège.

En refusant de regarder les sommes versées par un époux à sa femme comme une libéralité ou une pension, le service a préféré privilégier une taxation d’office qui lui a permis d’établir des rappels beaucoup plus importants.

Mais encore faut-il que la taxation d’office soit régulière.

Ce n’est pas le cas lorsque le contribuable fournit des renseignements précis et vérifiables : il appartient alors au service de faire les vérifications possibles, et si les dires du contribuable sont confirmés, d’établir la taxation dans la catégorie d’imposition appropriée (en l’espèce, celle des pensions alimentaires), et non pas dans celle des revenus d’origine indéterminée.

Contact : marc.tournoud@arbor-tournoud.fr