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Jeudis des fiscalistes - Marc Tournoud - Retenue à la source sur les importations conformes aux normes et exigences de qualité de la Communauté

Le 01 février 2024
Jeudis des fiscalistes - Marc Tournoud - Retenue à la source sur les importations conformes aux normes et exigences de qualité de la Communauté

Dans une décision surprenante du 16 novembre 2023 (n° 22LY00296), la Cour Administrative d’Appel de Lyon, suivant, comme souvent, la position de l’Administration Fiscale, juge que le contrôle qualité réalisé par une société étrangère sur les marchandises qu’elle vend à une société française constitue une prestation de service distincte de la vente et entre à ce titre dans le champ d’application de la retenue à la source prévue par l’article 182 B du CGI.

L’article 182 B du CGI prévoit que « Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : […]

Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France. ».

Quatre conditions sont donc nécessaires pour l’application du prélèvement à la source, il faut qu’une société française verse une rémunération (1) au titre d’une prestation de service (2) fournie ou utilisée en France (3) et réalisée par une société étrangère n’ayant pas d’installation professionnelle en France (4).

La Cour, au même titre que le tribunal de première instance, se fonde, pour l’essentiel, sur une décision de la Cour Administrative d’Appel de Versailles du 18 mai 2017 n° 16VE02518 Mandalay Prestige, selon laquelle le contrôle qualité réalisé par une société tierce sur les marchandises acquises d’un fournisseur étranger entrait dans le champ d’application de la retenue à la source pour le prix de prestation de l’entreprise tierce.

La CAA de Lyon transpose ici la décision Mandalay Prestige, alors qu’il n’existait, dans l’affaire jugée le 16 novembre 2023, aucune entreprise tierce qui aurait réalisé la prestation de contrôle indépendamment de la vente. Le contrôle qualité était en effet assuré, comme dans la généralité des contrats internationaux, par le vendeur lui-même. Il s’agissait donc d’une opération bipartite.

Dans l’affaire Mandalay Prestige (CAA Versailles 18 mai 2017 n° 16VE02518), il s’agissait en revanche d’une opération tripartite, au terme de laquelle, lorsque une société étrangère vendait des marchandises à la  société française, cette dernière faisait appel à une autre société étrangère tierce pour réaliser un contrôle qualité des marchandises en cause.

Dans l’affaire jugée par la CAA de Lyon, le contrôle qualité litigieux était réalisé par le vendeur lui-même avant la vente des marchandises à la société française. Les circonstances étaient donc différentes.

En l’absence de prestataire distinct, on ne devrait pas pouvoir relever l’existence d’une prestation de service dissociable de la vente. Le contrôle de la qualité des marchandises vendues constitue en effet une composante normale du contrat commercial qui conduit à la conclusion d’une vente.

Autrement dit, le contrôle de la qualité des marchandises vendues est une composante nécessaire et obligatoire de l’opération de vente, et non pas une prestation de service du vendeur qui serait dissociable de la vente.

La décision n° 22LY00296 de la Cour Administrative d’Appel de Lyon ne manque donc pas de surprendre, dans la mesure où elle autorise désormais l’administration à décomposer le prix d’une vente en deux parties, l’une supposée se rapporter à la vente elle-même, l’autre à une hypothétique prestation de services.

Une telle solution, si elle devait être confirmée, poserait évidemment d’innombrables problèmes.

En particulier, à supposer qu’une telle prestation de service « d’autocontrôle » puisse être caractérisée dans pareilles circonstances, il n’est pas du tout évident de saisir comment une telle « prestation », dont il est rappelé qu’elle est réalisée avant l’exportation par le vendeur pour les besoins de son propre commerce, pourrait être regardée comme utilisée en France.

En effet, c’est justement l’objet du contrôle qualité réalisé par le vendeur avant l’exportation de la marchandise vers la France que de garantir à l’acquéreur français un produit conforme, sans que celui-ci n’ait à faire valider cette conformité par un tiers.

La supposée prestation, qui est incluse dans le prix de vente de la marchandise au stade de l’exportation, et qui est facturée concomitamment à la vente par le vendeur lui-même, ne devrait pas pouvoir être regardée comme utilisée en France, mais d’abord dans le pays d’implantation du vendeur, puisque c’est ce contrôle préalable qui conditionne l’expédition de la marchandise vers le client français.

Une opération économique unique ne devrait donc pas pouvoir se décomposer artificiellement entre une partie qui relèverait du régime des ventes et une partie qui relèverait du régime des prestations de services. Ainsi, une importation de marchandises constitue dans son ensemble une vente mais pas une prestation de service.

A juger le contraire, la Cour Administrative d’Appel de Lyon impose désormais à l’ensemble des importateurs de marchandises dont la conformité aux normes de la communauté européenne est garantie par le vendeur avant l’importation, de verser une retenue à la source sur la quotité du prix de vente supposée correspondre aux contrôles de la qualité de la marchandise vendue.

L’application concrète d’une telle solution apparait des plus délicates dans la généralité des cas où la prétendue prestation ne serait pas identifiée et chiffrée dans la facturation du vendeur.

Quoi qu’il en soit, rien ne justifie, au regard des règles du commerce, qu’on puisse voir une prestation de service dans le contrôle du vendeur de la qualité de ses propres marchandises : l’exigence d’une qualité conforme aux exigences de l’acheteur est en effet, nécessairement, une composante normale du contrat de vente.

Dans cette affaire, une fois de plus, l’administration fiscale s’était estimée fondée à s’affranchir des règles de base du réalisme économique, en inventant de pouvoir dissocier dans le prix d’une importation une quotité qui correspondrait à une prestation de services, laquelle serait dissociable de la vente elle-même.

L’administration tente ainsi d’inventer un nouveau gisement de rappels de retenue à la source, sans aucune considération de la réalité de la marche des affaires, dans laquelle il est normalement de règle qu’un vendeur, même étranger, livre à son client des marchandises qui sont conformes aux exigences de qualité de l’acheteur.

Il est malheureux que la CAA de Lyon ne veuille pas sanctionner de tels procédés. En principe, le Juge de l’impôt devrait en effet veiller à protéger les entreprises des excès des services de contrôle. Il protège ainsi l’administration elle-même de ses propres excès.

Ce n’est manifestement pas ce qui a été fait le 16 novembre 2023 dans l’affaire n° 22LY00296.

C’est pourquoi il a été demandé au Conseil d’Etat de censurer l’arrêt ainsi rendu par la Cour Administrative d’appel de Lyon (n° 22LY00296).

Affaire à suivre…

Marc Tournoud, avocat, spécialiste en droit fiscal.

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Contact : marc.tournoud@arbor-tournoud.fr