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Jeudis des fiscalistes - Marc Tournoud - Secret de l’instruction et présomption d’innocence - Quand le Juge administratif place l’administration fiscale au-dessus des Lois...

Le 02 novembre 2023
Jeudis des fiscalistes - Marc Tournoud - Secret de l’instruction et présomption d’innocence - Quand le Juge administratif place l’administration fiscale au-dessus des Lois...

Cour Administrative d’Appel de Lyon n° 21LY03187 du 19 octobre 2023

Dans une affaire récente, la Cour Administrative d’Appel de Lyon vient de faire connaître, de manière inédite, et à vrai dire caricaturale, sa manière de voir en ce qui concerne le secret de l’instruction et le secret fiscal, lorsque l’administration entreprend de redresser une prétendue activité occulte d’une personne mariée.

C’est ainsi que, dans un arrêt n° 21LY03187 du 19 octobre 2023, la Cour a eu à examiner la situation d’une femme mariée qui avait fait l’objet d’un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle après que l'administration ait été informée par le tribunal de grande instance de l’ouverture à son encontre d’une procédure pour abus de faiblesse sur personne vulnérable.

A la suite de cette communication, au lieu de s’en tenir à l’incrimination pénale d’abus de faiblesse, l’administration fiscale a préféré considérer, au vu des pièces de la procédure pénale auxquelles elle a eu accès, que l’intéressée avait en fait exercé de manière habituelle et occulte une activité professionnelle d’Escort au cours de la période vérifiée.

Bien entendu, la femme ainsi désignée comme une « Escort », de manière injurieuse, outrageante et diffamatoire a contesté fermement cette qualification au moment du contrôle de ses revenus.

Il s’avère par ailleurs que la dame incriminée a finalement été relaxée des poursuites pénales engagées contre elle sur le terrain de l’abus de faiblesse, de sorte qu’il ne subsiste rien des reproches faits à l’intéressée par le système judiciaire.

L’innocence de cette contribuable ayant été reconnue, on aurait pu penser que le système judiciaire fonctionne bien, et que les innocents reconnus innocents par une décision judiciaire définitive, peuvent reprendre tranquillement leur vie d’avant, ayant bénéficié de la présomption d’innocence et du secret de l’instruction qui sont normalement reconnus à tous les mis en cause, au stade de l’instruction.

Mais c’était sans compter sur l’administration fiscale et le Juge de l’Impôt, qui ne s’embarrassent guère de tels principes, et notamment pas de la présomption d’innocence et des droits de la défense des personnes mises en cause.

Ainsi, dans cette affaire soumise à la Cour Administrative d’Appel de Lyon (arrêt n° 21LY03187  du 19 octobre 2023), le mari de la contribuable se plaignait que l’administration fiscale lui ait adressé, en même temps que la proposition de rectification adressée à son épouse au titre de sa prétendue activité occulte, une proposition de rectification visant le revenu global du foyer fiscal, dans laquelle le service lui décrivait par le menu l’activité professionnelle imputée à son épouse, y compris l’identité de ses clients supposés et la nature des relations entretenues avec les intéressés.

L’époux, qui n’était nullement mis en cause dans la procédure pénale, faisait valoir que le vérificateur avait commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat en portant à sa connaissance, par l’intermédiaire de la proposition de rectification adressée au foyer fiscal, des informations relatives à la nature de l’activité imputée à son épouse, alors que ces informations étaient couvertes par le secret professionnel et le secret de l’instruction.

On sait en effet qu’en principe, le contrôle des revenus professionnels est suivi exclusivement avec l’époux titulaire des revenus (article L. 54 du Livre des procédures fiscales) et que le résultat de ce contrôle du revenu professionnel  produit directement ses effets sur le revenu global (article L. 54 A du LPF), sans qu’il soit  besoin de notifier à l’époux les redressements du revenu global (Cour administrative d'appel de Bordeaux, du 9 mai 1990, 89BX00549).

Le service n’était donc en rien obligé d’informer le mari du détail des activités imputées à son épouse, alors que, non seulement celui-ci n’avait rien demandé de cette sorte, mais surtout qu’à la date de la communication des éléments du dossier pénal à l’époux, l’affaire était encore au stade l’instruction en ce qui concerne son aspect judiciaire.

D’ailleurs, s’agissant la procédure de contrôle des revenus de l’épouse, celle-ci, qui avait reçu la proposition de rectification de ses revenus commerciaux le même jour, n’avait pas été mise en situation de se défendre, faute d’avoir pu répondre et se défendre des accusations de l’administration fiscale.

Il n’y avait donc pas lieu, à la date de la communication incriminée, de mêler l’époux à cette affaire.

Pourtant, la Cour a jugé que l’administration n’est pas fautive lorsqu’elle dénonce au mari les détails de la prétendue activité occulte d’Escort de son épouse, alors même que celle-ci, au stade de la proposition de rectification, n’a pas encore été mise en mesure de répondre à ces accusations, et qu’aucune imposition n’avait été établie solidairement de ce chef.

Certes, il est facile de comprendre que le secret fiscal ne soit pas opposable à l’époux après la mise en recouvrement des rappels, puisqu’il est alors solidairement responsable du paiement de l’impôt. Dans un tel cas, l’époux doit donc effectivement pouvoir accéder au dossier en dépit du secret, puisque c’est pour les besoins de sa propre défense.

En revanche, la solution ne peut pas être la même lorsque la communication à l’époux des éléments du dossier pénal de sa femme s’opère sans que l’intéressé ne l’ait demandé, et, surtout, à un moment où la procédure de redressement des revenus professionnels de l’épouse n’a pas été menée à son terme.

Ainsi, selon la Cour, il serait indifférent que la communication au conjoint soit faite avant ou après la mise en recouvrement des rappels.

Ce n'est pourtant pas l'esprit de la Loi, qui organise au contraire le contrôle des revenus professionnels (article L. 54 du LPF) de manière à préserver la confidentialité des propositions de rectifications, y compris vis-à-vis du conjoint, tant que la procédure de contrôle des revenus professionnels personnels de l'autre époux n'est pas achevée.

C’est normal, puisqu’il ne s’agit à ce stade que de « propositions de rectification » du revenu professionnel, auxquelles le titulaire du revenu doit pouvoir répondre sans que sa liberté de réponse ne soit polluée par la communication des éléments de son dossier pénal à un tiers, fusse-t-il son époux.

Ces éléments sont en effet, normalement, couverts par le secret fiscal et par le secret de l’instruction.

En principe, le secret de l’enquête et de l’instruction est supposé être un principe fondateur de la procédure pénale française, qui vise à garantir l’efficacité et l’équité de la procédure judiciaire tout en protégeant la présomption d’innocence et la vie privée des personnes impliquées, et notamment celles des mis en cause.

On sait que ce principe doit être concilié avec les droits de la défense, et c’est ce qui justifie que le secret ne soit pas opposable à l’époux lorsqu’il est poursuivi, après la mise en recouvrement, au titre d’une imposition commune.

En revanche, il n’y a pas de justification à la communication au conjoint d’éléments choisis du dossier pénal (notamment l’identité des amants de l’épouse...) avant qu’ait été mise en œuvre   la solidarité de paiement de l’IR du foyer fiscal, et surtout pas avant que l’épouse, ici qualifiée d’Escort, n’ait été mise à même de se défendre.

Peu importe, nous dit la Cour Administrative de Lyon : la communication au mari d’éléments du dossier des revenus professionnels de l’épouse n’est pas fautive, même si celle-ci n’a pas pu présenter ses observations et notamment contester les dires de l’administration.

Loin de se satisfaire de ce quitus donné à l’administration, qui se voit ainsi autorisée à fouler aux  pieds le secret fiscal, la présomption d’innocence, et la vie privée des femmes mariées, la Cour ajoute, dans sa décision : «  les dispositions de l’article 11 du code de procédure pénale, qui posent le principe du secret de l’instruction, ne créent, au cas où l’administration fiscale exerce son droit de communication et prend ainsi connaissance d’informations recueillies dans le cadre d’une procédure d’instruction, aucune obligation dans le chef des agents de l’administration fiscale, lesquels ne concourent pas à la procédure pénale, qui viendrait s’ajouter à celles qui résultent des dispositions précitées de l’article L. 103 du livre des procédures fiscales. Il en résulte que le secret de l’instruction ne saurait avoir été méconnu du fait de la transmission de ces informations à M. B…. ».

Ainsi, selon la Cour Administrative d’Appel de Lyon, le secret de l’instruction ne s’imposerait pas à l’administration fiscale.

Il y a là quelque chose de profondément déplaisant.

En effet, c’est à l’initiative de l’autorité judiciaire que les services fiscaux sont saisis des faits mis à jour par l’enquête judiciaire (article L. 101 du LPF). Ceux-ci deviennent donc dépositaires du secret de l’instruction.

En principe, le secret de l’enquête et de l’instruction doit assurer la présomption d’innocence des personnes mises en cause.

 

Ce droit fondamental est inscrit à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ») et à l’article 6 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales.

Selon M. Frédéric Desportes, premier avocat général de la chambre criminelle : «   Le secret de l’instruction  ...  peut trouver sa justification, non plus seulement dans des considérations d’intérêt public – sérénité, sécurité et efficacité de l’instruction – mais également dans l’intérêt de la personne mise en cause » (JurisClasseur Procédure pénale, « Secret de l’instruction », 1er janvier 1998, § 6 et 7).

Ainsi, l’un des objectifs du secret de l’enquête et de l’instruction devrait être la protection des personnes, qu’elles soient victimes, témoins ou mises en cause.

Les services répressifs, notamment ceux de l’administration fiscale, ne devraient pas en être déliés, sauf à mépriser le droit de se défendre des personnes mises en cause.

C’est notamment le cas lorsque la violation du secret de l’enquête et de l’instruction peut aboutir à une mise en danger physique ou psychologique des personnes qu’elles soient victimes, mises en cause ou témoins.

En l’espèce, force est de constater que le service s’est montré au moins indélicat et en tous cas irresponsable en dénonçant au mari de la contribuable vérifiée, sans aucune précaution, et alors que rien ne y obligeait (ainsi qu’il est dit à l’article L. 54 du LPF), les turpitudes attribuées à son épouse.

On pouvait craindre en effet une réaction violente ou malavisée de l’époux, ce qui n’a pas été le moins du monde anticipé.

Il y a lieu d’espérer que le Conseil d’Etat, lorsqu’il sera saisi de cette affaire, remette l’église au milieu du village en rappelant à l’administration qu’elle n’est pas au-dessus des Lois, ni des principes généraux du droit, notamment pas du respect de la vie privée, en particulier celle des femmes mariées, ni du respect de la présomption d’innocence, et du respect des droits de la défense.

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Marc Tournoud,

Avocat associé, spécialiste en droit fiscal.

Contact : marc.tournoud@arbor-tournoud.fr